Et si on mangeait paléo…? (partie 3)

Le diable est dans l’industrialisation et la transformation des aliments.

Extrait d’un site web:

« Les progrès de l’agriculture sont eux aussi clairement pointés du doigt pour justifier les bienfaits de ce genre diète. Dans le cas du gluten, certaines variétés de céréales et de blé ont en effet été sélectionnées par l’homme pour leur résistance et leur concentration plus forte en gluten qui les rend donc plus « panifiable« . Leur argument : « On en consomme trop, et ce gluten sort maintenant d’usines industrielles après avoir été modifié. Mais cela ne changerait rien à la nocivité de l’aliment, du moins la science ne l’a pas prouvé : « Aucun lien n’a encore été fait entre une plus grande quantité de gluten et un risque accru du développement de la maladie cœliaque » tient à préciser Brigitte Jolivet, présidente de l’Association Française des Intolérants au Gluten.

Le gluten est donc un coupable parfait, un « bouc-émissaire comme d’autres avant lui » selon le nutritionniste Jean-Michel Lecerf de l’Institut Pasteur. Après le beurre, le sucre, la viande, le blé et le lait sont les suivants sur la liste. « Des idéologues insinuent alors que notre alimentation moderne nous empoisonne, déplore le professeur Lecerf, qu’elle est mauvaise, que depuis que l’homme cultive le blé, il va mal. Si ce mouvement s’appuie sur quelques réalités cliniques, il y a aussi beaucoup d’exagération. »

Il faut dire que les « idéologues » n’ont pas à faire grand-chose; l’agroalimentaire jouit d’une très mauvaise presse. L’agriculture a déjà démontré par le passé qu’elle pouvait provoquer de vraies crises sanitaires comme celle de la vache folle dans les années 80 et 90 et celle de la listériose en 2008. Il y a aussi l’utilisation des Organismes Génétiquement Modifiés qui provoque des levées de boucliers. Et les dangers des pesticides commencent aussi à inquiéter l’opinion publique. Un discours qui met en avant le danger du gluten trouve donc des oreilles très attentives.[…] »

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Selon la logique du paléo, revenir à une alimentation ancestrale permettrait donc de tirer un trait sur les aliments industrialisés souvent synonymes sel, graisses cachées et de sucre raffiné. Jugée trop grasse, trop sucrée et trop complexe, l’alimentation contemporaine est perçue comme un poison. Avec le régime préhistorique, on revient à une alimentation très basique sans produits laitiers, céréales, légumineuses et produits transformés. Le « paléo » classe ainsi dans le même panier toute transformation des aliments de leur état naturel; qu’elle soit surgelée, sous vide ou en conserve.

Extrait d’un site web :

« Pourquoi tout le monde nous force à croire que boire du lait, manger des pâtes ou du pain est quelque chose de naturel? Êtes-vous déjà tombé nez à nez avec un paquet de spaghetti lors d’une promenade en forêt ou l’or d’une plongée sous-marine? J’en doute… »

L’individu est libre de ses choix. Le « paléo » n’a pas sa raison d’être.

Est-ce que la transformation des aliments implique parfois des procédés chimiques pour ajouter de l’huile, du sucre, des gras trans ou des agents de conservation comme du sel? Oui. Y en a-t-il plus maintenant qu’il y a 50 ans? Bien sûr et l’offre de produits est plus grande. Mais ce n’est pas une raison pour diaboliser l’agroalimentaire en général et d’y voir des complots partout. Pourquoi faudrait-il s’entêter à vouloir manger ce qui était disponible durant l’ère des hommes de caverne sous prétexte de vouloir éviter une alimentation un peu trop grasse et sucrée?

Comme je l’ai mentionné un peu plus tôt, la plupart des bienfaits de la diète paléolithique (sensation de bien-être, degré d’énergie stable, disparition des ballonnements et sommeil de meilleure qualité) sont attribuables au fait de mieux manger et de moins manger en général. Plus de protéines, plus de fruits et légumes, moins de sucres raffinés. Et non à l’alimentation « paléolithique ». Si on diminue les sucres simples et on arrête la malbouffe, la différence sera évidente.

Multitude de choix

Évidemment, devant la panoplie d’aliments présentés dans les comptoirs alimentaires tels les épiceries, devant la malbouffe et les tentations, on est tous confronté chaque jour à une multitude de décisions :

  1. Le café : 2 crèmes et 4 sucres, 1 crème et 3 sucres ou 2 laits et 1 sucre?
  2. Au restaurant : Les frites, le riz, la patate au four ou les légumes?
  3. Au souper : Prend-on un dessert?
  4. Pour déjeuner : Un croissant au chocolat, une omelette au jambon ou du gruau nature?

Oui, les aliments prêts-à-manger sont souvent plus gras et plus salés que ceux faits maison.

Ce qu’ils veulent dire ou ce qu’il faudrait faire.

Je crois que tout ce que les idéalistes de cette diète veulent dire, c’est de manger plus santé, plus frais, plus naturel et moins gras, moins salé, moins transformé. Moins de pizzas, moins de gâteaux. Moins, tout court. Mais de façon un peu maladroite. Svp Arrêtez de me faire croire qu’il faut que je mange des plantes, des racines, des tubercules et des fruits à coque. Je n’ai pas besoin du paléolithique ou de la biologie de l’évolution pour savoir comment choisir des fruits et des légumes frais, des viandes plus maigres et des produits moins transformés à l’épicerie. On peut aussi lire les étiquettes, choisir des aliments naturels ou biologiques, etc.

Le vrai problème : la sédentarisation

Dans un sens, c’est vrai que le corps est désormais mal adapté à son environnement. Depuis la révolution industrielle, l’urbanisation et les progrès technologiques, on bouge et on se déplace de moins en moins. Avec la télé, l’Internet, le transport automobile, etc. Le corps n’a pas été conçu pour rester assis devant un ordinateur toute la journée.

L’industrialisation a donc eu certainement des effets négatifs sur les être humains, comme les problèmes d’obésité. D’ailleurs, on estime qu’au Canada un adulte sur quatre (25%) est obèse et un jeune sur trois (33%) est en surpoids (1,2). Le problème de fond est donc à mon avis beaucoup plus le manque d’exercice physique qui a suivi l’avènement de la révolution industrielle plutôt que l’apparition de l’agriculture moderne. C’est pourquoi maintenant on ne peut plus se fier à notre mode de vie pour brûler les calories nécessaires dans notre journée et pour faire travailler nos muscles de façon adéquate.

Effet de mode

Difficile d’estimer le nombre d’adeptes du paléo mais il gagne de plus en plus en popularité. Même Hollywood s’y met. Ce type d’alimentation attire aussi les fans du CrossFit, qui est aussi devenu une mode. À même titre que le Spartan Race, le Tough Mudder et l’entraînement « strongman » depuis quelques années (ce dernier probablement avec raison). Combinant à la fois l’athlétisme, l’haltérophilie et la gymnastique, le Crossfit préconise à la fois un mode d’alimentation et des mouvements « préhistoriques » comme le lancer de pierres, les flips de pneus, les jetés, monter des cordes, escalader un mur, etc. Ces hommes des cavernes urbains choisissent ainsi des routines d’exercices axées sur la course (sprint) et les sauts, un peu pour reproduire comment une personne préhistorique aurait fuit d’un mastodonte par exemple.

Cette façon de s’entraîner à accomplir des exploits physiques leur permet de sortir d’un environnement de gym « traditionnel », sans appareils électroniques sophistiqués, mais plutôt à la gymnastique à l’ancienne. Pour cette sous-culture moderne de l’âge de pierre, le paléo serait (selon toute vraisemblance) considéré comme un « mode de vie » plutôt qu’un régime. «Nos ancêtres n’étaient pas assis devant un écran d’ordinateur toute la journée. C’était des chasseurs-cueilleurs, donc ils étaient très actifs» Une sorte de fortitude ou d’état mental dans laquelle ils veulent se ressourcer, en réaction à cette société de patates de sofa et de Fruit Loops :

“But, seriously, what if we ate like our Paleolithic ancestors? That would be lots of lean meats, nuts, fresh fruits and vegetables; no grains, salt, sugar, legumes or dairy products. Some people do, and it’s called the Paleo diet — short for Paleolithic, which refers to the era before agriculture took hold, a movement away from a hunter-gatherer lifestyle that resulted in settled societies, and, eventually, Twinkies and couch potatoes.

Here’s a question for the weight-conscious: How often do you see a fat caveman? Exactly. Maybe excepting Fred Flintstone and Barney Rubble, most portrayals of the people who lived 12,000 years ago depict svelte folks baring rock-hard — if hairy — abs. What’s their secret? Surely it’s great exercise to be out chasing woolly mammoths and foraging for berries all day. And it helped that there were no Fruity Pebbles or venti white chocolate mochas hundreds of generations ago.”

Les cavemens d’aujourd’hui visent donc une forme physique aussi musclée et tonique que celui de nos lointains ancêtres du paléo. Évidemment, c’est une façon de challenger leur mental d’un mode de vie qui n’est plus tellement représentatif d’aujourd’hui. Leur alimentation est aussi ce qu’on pourrait qualifier d’un peu macho, en préconisant de manger beaucoup de viande et de manger ses aliments sans artifices voire crus(!). On propose parfois même de pratiquer le jeûne intermittent, pour refléter l’épuisement et simuler l’effort que nos ancêtres mettaient pour chercher leur nourriture entre deux périodes de chasse..

Ce que j’en pense.

L’industrialisation a certainement eu des effets négatifs sur les êtres humains, comme les problèmes d’obésité, de sédentarité et de malbouffe. On ne dépense plus autant les calories nécessaires chaque jour pour être en santé ou prévenir les maladies. Face à ce fléau ou déséquilibre réel, les idéologies sont « bonnes vendeuses » et les extrêmes (ex. Transformations extrêmes) sont courants dans notre société. Ce que je n’aime pas dans les « régimes », c’est que la plupart du temps, les gens qui les prônent croient avoir la solution à tout, LA solution miracle. Je ne crois pas que le paléo soit une réponse logique au problème de sédentarisation de la société et de la malbouffe et je n’achète pas la suppression entière des produits laitiers et céréaliers. « Nos maladies de civilisation proviennent d’un manque d’activité physique et d’une consommation trop élevée d’aliments transformés et sucrés, mais non d’une consommation trop élevée de céréales entières, de légumineuses et de yogourt nature. », estime Hélène Baribeau, nutritionniste.  Car c’est pour moi un autre exemple de tomber dans l’extrême. Pour moi, ce genre de diète, c’est un peu comme une conséquence ou une réaction de certaines gens qui veulent adopter un mode de vie sain à tout prix pour compenser des épisodes marqués de sédentarité et de malbouffe. Car personnellement, je peux difficilement concevoir que des gens s’inventent un mode de vie « paléo », autrement que pour le fait de suivre la masse. Si vous avez toujours mené une vie relativement saine, équilibrée et active, vous ne sentirez pas le besoin de joindre la « mode ».

On peut souhaiter une silhouette svelte et hypertonique mais le paléolithique c’était un mode de vie d’il y a 10 000 ans; on ne peut pas se comparer à eux. Ça ne veut pas dire de rester assis toute la journée pour autant. On peut aussi vouloir être un athlète complet mais on n’a pu besoin de se battre avec des lions, de courir dans la jungle, de chasser le mammouth, etc.

Dans son analyse 2013 des régimes les plus populaires, le US News & World Report l’a classé bon dernier, 28e sur 29, les experts nutritionnels le considérant comme dispendieux, monotone, peu praticable en ces temps modernes et dont les vertus qui lui sont attribuées ne sont pas prouvées médicalement.

De plus, manger est un acte social que le paléo rend parfois pénible car il occulte un peu le « plaisir de manger » en étant si drastique. La contrainte sociale y est élevée. Le simple fait d’aller au restaurant ou chez des amis devient un casse-tête ou une source de stress. À long terme, ça peut devenir encore plus difficile comme stratégie à maintenir compte tenu du nombre important d’aliments interdits. En tant qu’entraîneur, je sais que c’est juste une stratégie utilisée par certains pour être le plus « cut » possible, comme les diètes low-carb et sans gluten. Mais pour se sentir bien dans sa peau, être plus mince ou avoir un poids santé ce n’est pas la même affaire. Il faut aussi se poser la question du « pourquoi » on entre dans une telle mode. Est-ce pour les bonnes raisons, dans quel but? Un des rôles des kinésiologues est d’aider les gens à apporter des changements durables à leurs habitudes de vie, pas qu’ils se sentent frustrés ou qu’ils en viennent à abandonner.

Relire:

Et si on mangeait paléo…? (partie 1)
Et si on mangeait paléo…? (partie 2)

Références:

The biggest diet myths and the diet facts, Helen Sanders, site de Health Ambition, 2013.

Paleo diet is so easy, caveman actually did it, The Washington Post, 2010.

The new age caveman and the city, The New York Times, 2010.

La diète paléolithique et les performances sportives, Centre de référence sur la nutrition de l’Université de Montréal, Extenso.org

Pourquoi s’en prendre au régime hypotoxique?, Jean-Yves Dionne, 2012.

L’alimentation vue par l’Homo sapiens, site de Radio-Canada, 1er septembre 2013.

Régime paléolithique ou exercice Cro-Magnon?, site de Radio-Canada, 05 septembre 2013.

Manger paléo: retour à l’âge de pierre, émission L’épicerie du 28 août 2013, site de Radio-Canada.

Régime paléolithique, Hélène Baribeau, site de Passeportsante.net, 2005.

Le régime paléolithique, bon pour nous?, magazine ELLE Québec, mars 2013.

Paleolithic diet, site de Wikipedia.org (page consultée le 02 novembre 2013).

Paleolithic diet: Healthy or a Hoax?, Meredith Melnick, The Huffington Post, 20 septembre 2012.

Caveman diet draws grunts from nutritionists, Anne Stein, The Chicago Tribune, 21 avril 2011.

The paleo diet: Caveman cure-all or unhealthy fad?, Alesh Houdek, The Atlantic, 27 juillet 2011.

How to really eat like a hunter-gatherer: why the paleo diet is half-baked, Ferris Jabr, Scientific American, 03 juin 2013.

Paleo-trends: Separating fact from fantasy, NewScientist, mars 2013.

Le new age préhistorique, une tendance très américaine, Hélène Crié-Wiesner, Rue89, 14 janvier 2010.

The paleo diet is a paleo-fantasy, Alison George, site de Slate.com, avril 2013.

What are the dangers of the paleo diet?, Sarah Dray, site de Livestrong.com, 30 avril 2011.

Le régime paléolithique, Aline Periault, site Lanutrition.fr, 29 novembre 2011.

Les hommes préhistoriques avaient mal aux dents et mauvaise haleine, Agence France-Presse, Washington, le 06 janvier 2014.