Moi, une jambe courte!? (partie 2/2)

Dans la première partie, j’ai tenté de définir certaines notions associées aux troubles musculo-squelettiques (TMS): posturologie, fascias, chaînes musculaires et jambe courte. J’ai amené la distinction importante à faire entre une jambe courte structurelle ou anatomique et une jambe courte fonctionnelle, c’est-à-dire, due à des facteurs musculaires ou articulaires. Il est très probable que les personnes aux prises avec une jambe courte compensent dans une certaine mesure pour celle-ci. Toutefois, plusieurs questions demeurent sans réponse: 1) Comment déceler avec précision une jambe courte? 2) Une jambe courte cause-t-elle systématiquement des troubles musculo-squelettiques ou des douleurs chroniques? 3) Doit-on corriger une jambe courte?

Comment déceler une “jambe courte”?

Plusieurs méthodes existent pour nous permettre de déceler une jambe courte, certaines étant beaucoup plus fiables et précises que les autres. Cette section a pour but d’examiner et de comparer certaines de ces méthodes, qui incluent la posturologie, le système Biotonix ainsi que la radiographie ou scanographie du membre inférieur.

a.    La posturologie

Les posturologues évaluent la posture physique d’une personne en observant l’équilibre général du corps à l’aide de certains tests posturaux. Plusieurs tests peuvent être effectués pour déceler une jambe courte. Un des tests les plus couramment pratiqués est le test des pouces montants, qui consiste à comparer la hauteur des épines iliaques, au niveau de la ceinture, en position debout.

D’autres tests peuvent être utilisés:

  • En position debout : comparer la longueur de chaque membre avec un ruban à mesurer, des épines iliaques antéro-supérieures aux malléoles internes.
  • En position assise : comparer si le poids est davantage réparti sur une fesse ou sur une autre, lorsque les pieds sont bien à plat au sol.
  • En position assise ou dorsale : comparer la position des genoux : les genoux ne seront pas au même niveau lorsque les genoux sont pliés à 90 degrés dans une jambe courte.
  • En position dorsale : comparer la hauteur des deux malléoles internes des chevilles.

Limites : Ces tests visuels qui comparent des repères anatomiques ne permettent pas de distinguer avec certitude s’il s’agit d’une vraie ou d’une fausse jambe courte. De plus, ces tests ne prennent pas en compte les différences de longueur résultant des compensations musculaires. Ainsi, beaucoup de fausses jambes courtes proviennent en réalité de déséquilibres musculaires. Par exemple, un psoas trop rétracté élève la hanche tandis qu’un ischios-jambier trop tendu l’abaisse. Enfin, certaines fausses jambes courtes sont aussi l’effet de torsions au niveau du bassin; ce que les chiropraticiens ou les ostéopathes entres autres peuvent adresser.

b.    Le système Biotonix

Selon le système Biotonix, mon épaule, ma hanche et mon genou gauche sont plus élevés de 5,6 °; 1,3 °; 3,3 ° respectivement et mon pied droit davantage en rotation externe.

Biotonix est un système de capture d’images destiné à évaluer la posture générale afin de “corriger et d’améliorer la symétrie posturale et les désordres musculo-squelettiques associés, les maux de dos et autres douleurs connexes” (selon le site Biotonix.com). Pour ce faire, 32 marqueurs anatomiques sont placés à des endroits spécifiques sur le corps. Ensuite, quatre images digitales (latérales, antérieure et postérieure) sont effectuées et analysées à l’aide d’un logiciel informatique. Puis, celui-ci relève les déviations posturales et les asymétries musculaires en calculant plusieurs variables biomécaniques afin de proposer un programme d’exercices et d’étirements correctifs.

Explication: Certains gestes quotidiens inconscients (porter un sac toujours sur la même épaule, être déséquilibré dans sa façon de marcher ou de s’assoir, travailler dans une mauvaise position devant son ordinateur, etc.) peuvent entraîner à long terme des tensions musculaires et un mauvais alignement du corps. Ce qui peut engendrer des troubles musculo-squelettiques et des douleurs récurrentes. En tenant compte de ces facteurs, il est possible de mieux adapter son programme d’entraînement à sa posture, prévenant ainsi les blessures.

Limites: Malgré que le système Biotonix semble jouir d’une excellente validité et fidélité (1), une analyse visuelle à elle seule ne suffit pas à bien évaluer et cerner une dysfonction ou une pathologie musculaire. Certaines douleurs ou certains troubles sont parfois causés par un muscle qui en tire un autre, ce que seule une évaluation clinique et manuelle par un professionnel de la santé compétent peut détecter.

c.    La radiographie (ou scanographie du membre inférieur)

La radiographie est la seule façon de mesurer la différence exacte entre la longueur des deux jambes. Elle est plus précise que les méthodes décrites précédemment, tout en comportant aussi un certain pourcentage d’erreur. Elle permet aussi de mieux confirmer ou infirmer le diagnostic clinique d’une différence de longueur de jambe anatomique (vraie jambe courte; traitable par élévation ou orthèse plantaire) d’une différence de longueur de jambe fonctionnelle (fausse jambe courte; traitable par des soins chiropratiques ou ostéopathiques). Ce type d’examen est normalement pratiqué en milieu hospitalier, sur une table spécialisée, en position couchée. Or, cette façon de mesurer la longueur des deux jambes ne fournit pas un diagnostic fiable puisqu’elle ne prend pas en compte la dynamique musculaire du sujet; en raison des tensions musculaires, des contractures et des compensations qui accompagnent la position debout. Ainsi, la radiographie en position debout, qui prend un cliché du bassin, est un test plus valide. Cette dernière ne mesure pas la longueur exacte des deux jambes toutefois, elle peut comparer la hauteur des deux têtes fémorales avec la hauteur du bassin. Pour ce faire, le sujet se tient bien droit en position debout, les pieds à plat et parallèles, les genoux en extension égale et le bassin appuyé contre un mur. Il est important que le bassin soit droit, puisque toute rotation au niveau de celui-ci pourrait fausser les résultats. Outre l’inégalité entre les deux membres, une telle analyse permet également de visionner l’alignement de la colonne vertébrale (ex. courbe lombaire) ainsi que des hanches.

Doit-on corriger une jambe courte?

L’inégalité des membres inférieurs ou la « jambe courte » est une condition fréquente. D’après certaines recherches, 90% de la population ont une égalité anatomique moyenne de 5,2mm (Gurney 2003, Knutson 2005). De plus, toujours selon celles-ci, les inégalités anatomiques de moins de 2cm ne devraient pas être systématiquement compensées à l’aide d’une talonnette ou d’une semelle orthopédique (orthèse plantaire). D’autres professionnels consultés parlent plutôt d’une longueur en-dessous de 1-1,5cm. Il ne faut pas oublier que personne n’est parfaitement symétrique. Ainsi, une inégalité des membres inférieurs de moins de 1cm n’est pas forcément source de blessures et ne cause pas nécessairement de trouble significatif de la biomécanique vertébrale. La musculature s’adapte et le bassin compense généralement les inégalités sans problème majeur. D’autres facteurs doivent être pris en compte lorsque vient le temps de décider de compenser ou non une jambe courte. Un examen clinique plus approfondi est requis afin de déterminer s’il y a:

  • Une inégalité ou une compensation analogue du sacrum
  • La présence d’une scoliose fonctionnelle
  • La présence de douleurs, et un lien de causalité entre les deux
  • Des compensations musculaires, un manque de mobilité aux hanches et une dysfonction du bassin, dans le cas d’une jambe courte fonctionnelle (fausse).

La correction d’une inégalité n’est pas à prendre à la légère. À l’heure actuelle, on ne peut point affirmer qu’il existe de lien clair et direct entre une petite asymétrie de longueur des membres inférieurs et l’ensemble des pathologies de l’appareil locomoteur du sportif. Aussi, la relation entre celle-ci et les maux lombaires ne fait pas consensus dans la documentation scientifique. Autrement dit, on ne sait pas si le fait de porter une talonnette, ou une semelle orthopédique (orthèse), est utile ou non. N’est-il pas à exclure que cette semelle puisse créer, à moyen ou à long terme, un changement biomécanique responsable d’une autre pathologie? Vouloir corriger “son naturel” et donc créer une réduction artificielle d’une inégalité “normale” des membres inférieurs ne devrait-il pas être l’exception? De mon avis, il est toutefois possible que dans certaines situations, le corps perde avec le temps ses possibilités d’adaptation et de compensation et devienne ainsi prédisposé à un risque plus élevé de blessures musculo-squelettiques. Dans le même ordre d’idée, il est également probable qu’un entraînement spécialisé d’une discipline sportive provoque une asymétrie de la musculature provoquant ainsi une asymétrie de longueur des membres inférieures fonctionnelle, devant être corrigée par des exercices compensatoires.

Conclusion

Dans le passé, je crois bien avoir porté des talonnettes trop hautes ou mal ajustées de 1,1cm et 1,9cm, puisque la radiographie chez le chiropraticien démontre une compensation analogue du sacrum. Mon inégalité pelvienne n’est donc en réalité que de 4mm. On me suggère une élévation de 6mm; toute élévation supérieure semblant porter ma colonne en scoliose dans l’autre direction. De plus, je me suis rendu compte qu’il est de loin préférable de corriger une jambe courte par une semelle complète plutôt qu’avec une simple talonnette. La talonnette place constamment la cheville en flexion plantaire, ce qui diminue son amplitude articulaire en particulier dans mon exercice du “squat”. Bref, compte tenu de:

  • Mon historique de blessures
  • Mon inégalité des membres inférieurs de 6mm, ma rotation du bassin et ma scoliose fonctionnelle, diagnostiqués par radiographie
  • L’usure inégale de mes chaussures
  • Mon vécu; c’est-à-dire, avant de m’être fait “vendre” une talonnette ($), j’ai toujours porté des orthèses plantaires mais elles n’avaient pas été ajustées depuis longtemps

J’ai donc pris rendez-vous chez un podiatre pour la possibilité de me faire faire des orthèses plantaires sur mesure pour compenser ma jambe courte. Aussi, pour vérifier l’arche de mon pied. La différence entre un podiatre et un orthésiste est qu’un podiatre est en mesure d’établir un diagnostic et de faire un examen biomécanique en ce qui concerne le pied, les pressions plantaires et l’alignement des membres inférieurs. Il peut ensuite conceptualiser une orthèse. Vous n’aurez aucun problème à vous faire fabriquer une orthèse générale par un orthésiste directement, mais celui-ci ne peut pas évaluer et poser de diagnostics même si plusieurs le font. Au final, si l’orthèse plantaire peut compenser la différence anatomique des os, les contractures musculaires, inhérentes à une jambe courte, se replacent naturellement en continuant d’être actif avec le sport. Pour ce qui est de la torsion du bassin (flexion ou extension au niveau de la hanche) elle pourrait toujours être corrigée au besoin par un ostéopathe ou un chiropraticien.

« Ce que vous mettez sous vos pieds influence, positivement ou négativement, la biomécanique vertébrale. Demeurez vigilents! »

Liens d’intérêt

1- Reliability and measurement error of the BioTonix video posture evaluation system, Normand MC, Harrison DE et al. J Manipulative Physiol Ther. 2002 May;25(4):246-50.

Anatomic and functional leg-length inequality: A review and recommendation for clinical decision-making. Part I, anatomic leg-length inequality: prevalence, magnitude, effects and clinical significance, G.A. Knutson, Chiropr Osteopat. 2005; 13: 11.

Leg length discrepancy. Gurney B. Gait Posture. 2002 Apr;15(2):195-206.

Leg length discrepancy, site web de physio-pedia.com, consulté le 22 avril 2016.

Methods for Assessing Leg Length Discrepancy, S. Sabharwal, Clin Orthop Relat Res. 2008 Dec; 466(12): 2910–2922.

Detecting and treating leg length discrepancies, Podiatrytoday.com, Mark A. Caselli, DPM and Edward C. Rzonca, DPM, volume 15 – issue 12 – December 2002.

Keys To Recognizing And Treating Limb Length Discrepancy, Podiatrytoday.com, Joseph C. D’Amico, DPM, DABPO, Volume 27 – Issue 5 – May 2014.

A Guide To Detecting And Treating Limb Length Discrepancy, Podiatrytoday.com, Richard L. Blake, DPM, Volume 20 – Issue 9 – September 2007.

Short Leg Syndrome: Part One, Massage Today, Erik Dalton, PhD, August, 2007, Vol. 07, Issue 08.

Short Leg Syndrome: Part Two, Massage Today, Erik Dalton, PhD, November, 2007, Vol. 07, Issue 11.

Treating leg-length inequality, Dynamicchiropratic.com, Mark Charette, DC, March 12, 2011, Vol. 29, Issue 06.

Short Leg Syndrome. What Does the Research Say? site web de Innersport.com, Blaise Dubois, October 6, 2010.

The long and short of… Leg Length Differences, Thesportphysio.wordpress.com, Adam Meakins / January 11, 2014.

Comment savoir si vous avez une jambe plus courte que l’autre, site web de Wikihow.com, consulté le 22 avril 2016.

Les postures, les tests, site web de Bien-grandir.com, consulté le 22 avril 2016.